Japon Intime
June Fujiwara
Née au Japon et parisienne de cœur, June Fujiwara a longtemps été ambassadrice du luxe français. Aujourd'hui, elle se consacre à l'écriture pour transmettre la culture de son pays natal. Ses œuvres, Mes Rituels Japonais, Les Secrets du Savoir-Vivre Nippon et La Parfaite Tokyoïte, sont autant d'invitations à des voyages immersifs et intimes. Elle vient de publier “La parisienne sans fard, sans fioriture” en Japonais, dans lequel elle nous livre sa transformation de Tokyoïte en Parisienne.
Beauté
Quelles images évoquent pour vous le mot “beauté” ?
“Un temple en bois, perdu quelque part dans une forêt ou dans le sillon des montagnes japonaises. Le toit en chaume est en bien mauvais état. Les murs apparaissent délavés, les marches usées. Contrastant avec les rampes noircies, les statuettes en pierre sont couvertes d’une épaisse couche de mousse.”
Beauté japonaise
Vous avez à cœur de transmettre l’esprit et l’essence du beau à la japonaise. Quels sont les éléments d’après vous qui rendent l'approche et la vision japonaises de la beauté uniques ?
“Le Japon est un pays qui a développé une philosophie particulière de la beauté. La beauté au Japon se niche dans l’imperfection, se dévoile dans l’asymétrie et éclot dans l’imprécision. Dans la culture japonaise, tout se joue dans le ressenti.”
Une femme ou un homme japonais qui vous inspire par leur beauté ?
“L’auteure Masako Shirasu, (1910-1988) m’inspire énormément car elle saisit l’essence du beau dans l’ordinaire. Elle a publié plus de 50 livres durant sa vie. Elle a dit: “À utiliser de jolies choses au quotidien, on s’éloigne du laid et du faux”
Quels sont vos gestes de beauté préférés, les rituels de soin, visage ou corps incontournables de votre quotidien?
“Celui que j’ai appris de ma mère. Dans la cuisine. Récupérer l’eau de lavage du riz pour l’appliquer sur le visage et les cheveux. L’eau de riz est une merveille aux vertus multiples pour la peau: cicatrisantes, hydratantes, adoucissantes ou encore tonifiantes. Vous parlez de gestes et vous avez raison, car tout est dans les gestes. Au Japon, les gestes valent autant, voire parfois plus, que les paroles. C’est par les gestes qu’un maître transmet l’essence de son art à son disciple. Il en va de même pour les gestes de beauté: j’ai tout appris de ma mère en l’observant. Je suis fière d’hériter de ses gestes et j’ai à cœur de les transmettre à mon tour. “
Sagesse et inspiration
Y a-t-il un proverbe ou un mantra japonais qui vous inspire particulièrement?
“le « wabi sabi », un concept à la fois esthétique et spirituel. Le « wabi », c’est déceler la beauté dans la sobriété et le dépouillement. Le « sabi » évoque la patine du temps. Le wabi sabi est donc la beauté de choses humbles, imparfaites ou fragiles: celle qui provoque en nous un sentiment de sérénité et de tranquillité. J’aime l’idée que l’imperfection naturelle soit inhérente à la beauté.”
Harmonie et sérénité
Une activité pour entretenir inspiration et sérénité ?
“Je vis à Paris mais je prépare souvent des morishio. Ce sont des petits cônes de sel, destinés à chasser les mauvais esprits et autres impuretés potentielles. Au-delà de la symbolique du sel, le geste de préparer un morishio engendre calme, réflexion et sérénité. Cela m'apaise l’esprit. “
Souvenirs et transmission
Quel est votre premier souvenir de beauté ?
“Regarder ma grand-mère pratiquer l’ikebana. J’avais cinq ou six ans. Dans ses mains, une simple fleur laissait éclore toute sa splendeur dans un récipient pourtant banal, en céramique. Je me souviens d’avoir été intriguée par ses gestes. Ce n’est qu’aujourd’hui que je comprends l’importance des gestes: le processus est aussi important que le résultat pour prétendre apprivoiser la beauté.”
Un conseil (De beauté ou autre domaine) transmis de génération en génération dans votre famille japonaise que vous donneriez à une jeune personne qui débute dans la vie?
“En un mot, « ne pas se comparer aux autres ». C’est essentiel pour découvrir sa beauté innée, la chérir et pour vivre heureux.”
Paris Tokyo
Vous avez vécu une partie de votre enfance et votre adolescence à Tokyo puis le reste de votre vie à Paris. Quelles sont les choses que vous aimez à Paris et celles que vous aimez le moins? Les choses du Japon qui vous rendent nostalgique ?
“Ce que j’aime à Paris, c’est le rapport au temps que l’on cultive ici. On peut passer des heures à table, avec ses proches, à discuter de tout et de rien. On peut passer du temps à ne rien faire d’autre qu’apprécier son café sur une terrasse, malgré la vie active et le dictat des smartphones. A Tokyo, c’est un peu moins le cas: nous sommes constamment en mouvement, toujours pressés.
Par contre, ce qui me rend nostalgique du Japon, ce sont les petits sanctuaires du quartier à Tokyo et les matsuri (fêtes saisonnières) qui s’y organisent. Toute la communauté se mobilise, cela génère un sentiment de proximité, de chaleur. J’aime surtout l’ambiance bon enfant de ces matsuri.
A Paris, c’est chacun pour soi, on ne s'entraide pas, sauf en cas de crises où chacun se mobilise, emporté enfin par un élan collectif.”
Passion et vitalité
Quelles sont les choses qui font battre votre cœur?
“Si je devais citer les choses qui font battre mon coeur, à l’instar de Sei Shonagon (l’auteure des « Notes de chevet » du XIème siècle), La rosée du matin sur une pétale de fleur, la clarté de la lune juste avant qu’elle ne se voile, la couleur du ciel indescriptible au moment du crépuscule ou encore la beauté éclatante d’une feuille morte. Tout ce qui est éphémère, finalement.”
Quelles sont les choses qui vous donnent confiance?
“Le regard de ma fille. Une étreinte de mon mari. Un mot de mes lecteurs qui disent partager mes ressentiments. “